Vous avez peut-être entendu parler des “violences éducatives ordinaires”, dites “VEO”. Ce terme, apparu dans les années 2000 sous la plume d’Olivier Maurel, ou d’Alice Miller, désigne les violences utilisées envers les enfants au prétexte de leur éducation, communément admises ou tolérées. En 2016, 87 % des parents français admettaient exercer des pratiques punitives et coercitives sur leurs enfants « à titre éducatif ». En juillet 2019, une loi française a été votée interdisant ces violences éducatives. Mais que sont concrètement les “VEO” ? Et comment lutter contre celles-ci ? On fait le point avec vous.
Les violences éducatives ordinaires
Qu’est ce que c’est ?
Les violences éducatives ordinaires (VEO) sont l’ensemble des pratiques punitives ou à caractère obligatoire utilisées, tolérées et parfois même encouragées dans une société, qui ont pour vocation d'éduquer les enfants.
L’adulte ne pense pas forcément à mal en utilisant ses pratiques : il fait ça “pour le bien de l’enfant” dans de nombreux cas, ou parce qu’il craque. Concrètement, ces violences éducatives peuvent être :
- verbales : moquerie, propos humiliants, cris, injures, donner des surnoms blessants, des étiquettes limitantes...
- psychologiques : menaces, punitions, mensonges, chantage, culpabilisation, laisser pleurer seul, faire peur, mettre au coin, ...
- physiques : gifles, pincements, fessées, secousses, tirer les cheveux ou les oreilles, forcer à finir son assiette, donner une tape sur la main, ...
Les VEO visent à faire obéir l’enfant, stopper un comportement, lui faire apprendre quelque chose ... et aussi parfois à s’épargner le regard de l’entourage lorsque celui-ci est oppressant. Mais elles sont souvent un signe d’impuissance du parent et de sa non compréhension des émotions de l’enfant, ni de sa vulnérabilité.
“Pourquoi appelle-t-on :
Agression le fait de frapper un adulte,
Cruauté le fait de frapper un animal,
mais Education le fait de frapper un enfant ?”
(Catherine Gueguen, pédiatre).
Que dit la loi ?
Une loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires est enfin votée le 10 juillet 2019 (loi n° 2019-721) en France, sans pour autant proposer de sanctions pénales associées.
Dans l’article L.421-14 du Code Civil on peut ainsi lire: “L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques.”
La France signe cette loi 40 ans après la Suède, et dans un climat social peu accueillant envers elle. La majorité des parents pensent encore que “mettre une petite fessée ne tue personne”.
Condamner les VEO : un changement de regard sociétal sur les enfants
La révolution liée aux neurosciences
Dès les début du XXIème siècle, les sciences nous ont éclairé sur le fonctionnement cérébral de l’enfant :
- son cerveau est immature, et incapable de raisonner comme les adultes, ou de temporiser les émotions qui le submergent : le jeune enfant est donc bruyant et réactif par définition, et nous devons seulement lui laisser le temps de maturer.
- son cerveau est très plastique, et apprend des milliers de choses par jour, pour développer son autonomie, son intelligence et ses capacités relationnelles. Cet apprentissage se fait plus facilement dans un climat encourageant et bienveillant, et quand l’enfant peut découvrir le monde avec plaisir, le manipuler sans limites.
- son cerveau est très vulnérable, et sensible aux interactions avec son environnement : il se développera moins facilement si l’enfant subit des maltraitances ou négligences, ou même si son réservoir de stress est trop souvent plein. Il n’apprend rien par la peur, si ce n’est de reproduire des comportements violents similaires.
Ces études nous montrent donc comme le cerveau de l’enfant a besoin d’être protégé durant ses premières années, pour se développer de façon harmonieuse.
Mais c’est aussi la construction personnelle de l’enfant qui a besoin d’être entourée d’affection : en effet, c’est toute son estime de soi, et sa confiance en lui et en les autres, qui se jouent au travers des interactions de son enfance.
Les VEO : mettre un mot pour prendre conscience
L’enfant se développe dans l'interaction et à partir de ses expériences. On sait aujourd’hui que les violences éducatives ordinaires, même si elles sont considérées par l’adulte comme des “petits riens”, sont une atteinte, une blessure pour l’enfant.
À long terme, et de façon répétée, d’après le rapport de l’OMS sur la violence et la santé (novembre 2002) les violences éducatives ordinaires augmenteraient les troubles du comportement comme l’agressivité, l’insolence, la dissimulation, l’échec scolaire ou les difficultés d’apprentissage, les troubles émotionnels ou du comportement, la diminution du sens moral, des capacités cognitives et de l’estime de soi…
En plus d’être néfaste pour le développement de l’enfant, les violences éducatives ordinaires peuvent envoyer des signaux contradictoires aux enfants. Celui-ci aura par exemple du mal à comprendre pourquoi il est puni pour avoir frappé quelqu’un alors que ses parents lui donnent des gifles …
Une remise en question de nos réflexes éducatifs est nécessaire. Mettre un mot sur ces pratiques, c’est un premier pas, une prise de conscience.
Pourquoi ces VEO semblent si difficiles à stopper ?
Le petit enfant est encore mal interprété par les adultes
Peu de parents sont conscients du fonctionnement réel du cerveau de l’enfant, et voient de la provocation ou des bêtises, là où il n’y a qu’exploration et expérimentation.
La société véhicule encore trop l’image d’un enfant sauvage qu’il faut dompter, et “faire rentrer dans le rang”, qu’il faut maîtriser avant qu’il ne devienne “enfant roi” ou “enfant tyrannique”.
Les parents interprètent encore trop souvent les comportements des jeunes enfants avec leurs yeux d’adultes, et se sentent ainsi agressés alors qu’il n’en est rien. Tous les enfants naissent en effet bienveillants et empathiques et n’ont pas la capacité de manipuler les adultes ou d’élaborer une stratégie pour obtenir d’eux ce qu’ils veulent.
La violence éducative est banalisée en France
Les parents reproduisent souvent ce qu’ils ont subi, ou connu comme modèle éducatif. Le système scolaire lui-même continue trop souvent de proposer des schémas de réussite à titre de récompenses ou de punitions, de mise à l’écart ou de pointage des échecs plutôt que des réussites (les fameux points rouges de comportement au cours de la journée).
Les adultes utilisent les VEO en pensant bien faire, sans savoir qu’il y a d’autres façons d’éduquer un enfant, car ils n’en ont pas vu d’autres. Les générations actuelles de parents nous montrent qu’il est possible d’accompagner son enfant sans avoir recours à des fessées, ou des mises au coin, et que ces enfants développent des compétences nouvelles : collaboration, empathie, communication, égalité des droits.
Mais ils font cela sans modèle préalable, dans un système de résilience remarquable.
Il est urgent de rompre ce schéma de violence répétée, qui conduit les enfants à reproduire à leur tour ces gestes et paroles blessantes, et qui leur laisserait croire que la vie n’est que rapport de force et soumission.
Comment réduire les VEO dans votre éducation ?
Que faire quand on perd pied ?
Tout d’abord, soyons très clairs : la vie de parent n’est pas de tout repos, et il vous arrivera plus d’une fois de perdre patience et d’avoir envie de crier très fort sur votre enfant ! Car comme vous le savez maintenant, son besoin d’exploration et ses tempêtes émotionnelles risquent bien de vous surprendre !
De plus, chaque parent a un bagage personnel différent, et peut avoir lui-même reçu une éducation très autoritariste voire violente, ce qui a inscrit en lui des mécanismes basés sur le rapport de force et la soumission. Heureusement, l’humain est capable de résilience et peut construire de nouveaux schémas relationnels, et apprendre de nouvelles façons de faire.
Si vous perdez pied face à votre enfant, si vos gestes ou paroles ont dépassé votre pensée, n'hésitez pas à lui demander pardon et à le rassurer sur le fait que vous travaillez activement pour lui proposer un environnement le plus sécurisant et affectueux possible.
Comment poser un cadre doux et ferme ?
Il est possible d’élever un enfant sans avoir recours à des VEO. Lutter contre les VEO au quotidien, c’est intégrer une pédagogie dite positive et une communication non violente. Le principe général étant d’être ferme envers son enfant sans violence. Voici quelques exemples :
quand votre enfant fait une bêtise, plutôt que de le punir, vous pouvez réfléchir avec lui à la façon de réparer son erreur.
si votre enfant fait une colère en public, commencez par vous rappeler que le bien-être émotionnel de votre enfant prime sur le regard des gens. Plutôt que de vous mettre à crier, ce qui décuple le stress (et donc la crise) chez votre enfant, sortez avec lui prendre l’air pour l’apaiser, ou tentez de détourner son attention en lui confiant une petite mission .
quand vous sentez que votre patience est mise à mal, que vous vous sentez impuissant.e et que vous pourriez porter la main sur votre enfant, dites lui que vous vous éloignez un peu pour son bien, sortez de la pièce, respirez un grand coup, et revenez quand vous vous sentez à nouveau maître de vous-même. Passez le relais quand c’est possible, et acceptez de ne pas tout réussir !
Attention, lutter contre les VEO ne veut pas dire glisser vers le laxisme. Il s’agit plutôt de **considérer l’intégrité de l’enfant comme égale à celle de l’adulte**.
Que faire si l’on est témoin de violences sur mineur
1 enfant meurt tous les 5 jours sous les coups de ses parents.
Toute personne qui pourrait être témoin ou suspecter des faits mettant un enfant en danger doit faire un signalement. Il s’agit d’une obligation légale de porter assistance à une personne en danger (Code pénal, art. 223-6).
Pour cela vous pouvez contacter le 119, numéro accessible 24h/24 et 7 jours/7, anonyme et qui n'apparaît pas sur la facture téléphonique.Votre témoignage sera alors recueilli par la CRIP (cellule de recueil des informations préoccupantes), qui donnera les suites nécessaires (enquête sociale et éducative, ou signalement au procureur).
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